Les violations des droits fondamentaux des migrants à la frontière franco-italienne
- masterjpppdroitdes
- 9 avr. 2021
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« L’autorité administrative a porté une atteinte grave et manifestement illégale au droit d’asile, qui constitue une liberté fondamentale » c’est en ces termes que le 8 juillet 2020 le Conseil d’Etat a fermement sanctionné le refoulement d’une femme et de son enfant par la police à la frontière franco-italienne.
Cette situation est devenue monnaie courante depuis la remise en place de contrôles supplémentaires à la frontière franco-italienne en 2015 au nom de la lutte contre le terrorisme. Depuis cette date l’Etat s’est vu condamner à de nombreuses reprises pour son action illégale dans la région rendant la situation particulièrement difficile pour les migrants et les demandeurs d’asile.
Dans quelle mesure l’action de l’Etat à la frontière franco-italienne a-t-elle conduit à porter atteinte aux droits fondamentaux des migrants ?
• Non respect du principe de non refoulement et de l’interdiction des expulsions collectives
La principe de non refoulement est encré dans le droit international, européen et français et au coeur de la protection des réfugiés. L’article 33 de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés dispose notamment qu’ « aucun des Etats contractants n’expulsera ou ne refoulera, de quelque manière que ce soit, un réfugié sur les frontières des territoires où sa vie ou sa liberté serait menacée en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ». L’interdiction de refouler des étrangers est particulièrement liée à l’interdiction des expulsions collectives ce qui contraint les autorités à effectuer un examen individuel de chaque situation. Ces obligations ont été rappelées à l’Etat par le tribunal administratif de Nice par une décision du 2 mai 2018 ainsi que par la CEDH de manière plus globale (Conka c/ Belgique, 5 février 2002, n°51564/99).
La situation à la frontière franco-italienne est particulièrement critique sur ces points. De nombreuses organisations comme Médecins Sans Frontière dénoncent de longue date l’absence totale de procédure encadrant ces expulsions systématiques. En deux jours d’observation au printemps 2018, l’ONG a comptabilisé que plus de 157 personnes avaient été refoulées en Italie sans examen de leur situation, sans aucun enregistrement. À cela s’ajoute les contrôles au faciès permanent dans la région desquels découlent ces expulsions illégales.
Cedric Herrou, un agriculteur dans les Alpes, s’est fait connaitre pour son action qu’il estimait être en réponse à l’illégalité des actes des autorités étatiques. Sa médiatisation a permis de mettre en lumière ces violations à répétition assumées par les dirigeants locaux. Son engagement a abouti à la consécration du principe de fraternité par le Conseil Constitutionnel en 2018 ne pénalisant plus les acteurs locaux qui venaient en aide à ces personnes migrantes particulièrement vulnérables.
Les autorités ne respectaient pas le principe de non refoulement et l’interdiction des expulsions collectives mais portaient, et portent toujours, atteinte au droit d’asile.
• Entraves manifestes au droit d’asile et aux droits des personnes migrantes
Le droit d’asile est un droit fondamental consacré par la Constitution française mais aussi par le droit international et européen. Ce droit permet aux personnes persécutées de se maintenir sur le territoire d’un Etat auprès duquel il en fait la demande. En France l’Office Français de protection des Réfugiés et des Apatrides est la seule autorité compétente pour se prononcer sur le bien fondé d’une demande d’asile. Un examen individuel de chaque situation est donc assuré par les services de l’Etat pour décider de l’octroi de cette protection ou non.
À la frontière franco-italienne il n’en est rien. Le 8 juillet 2020 le Conseil d’Etat, saisi par 6 associations oeuvrant pour la protection des réfugiés, a condamné l’Etat français pour avoir bafoué ce droit dans cette région. Il a été relevé que les demandes d’asile n’étaient pas enregistrées ni traitées car jugées quasi-automatiquement irrecevables par la Police aux Frontières pourtant pas compétente en la matière.
De plus les pratiques des autorités sur place dissuadent les étrangers de se présenter aux autorités : les contrôles systématiques et très souvent violents, mais aussi l’absence de notification de leurs droits ou des décisions prises à leur encontre rendant impossible toute contestation. Cette situation les incitent aux franchissements irréguliers, et répétés, de la frontière par des routes particulièrement dangereuses. De nombreux morts ou blessés graves sont à déplorer chaque année (dans les Alpes-Maritimes 16 migrants sont morts entre septembre 2016 et janvier 2018). Cette situation les soumet directement à la domination de passeurs qui profitent très largement de leur grande précarité et vulnérabilité.
La Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme s’est saisie de cette problématique et a rendu un avis marquant le 19 juin 2018. Elle y intègre différentes recommandations afin de remédier à cette atteinte grave aux droits fondamentaux des personnes migrantes. Elle exige « le plus strict respect des dispositions prévues par la loi », elle poursuit en soulevant « les interprétations volontairement restrictives, voire erronées, qui en sont faites, au détriment des droits des personnes migrantes ». Elle rappelle notamment l’exigence d’un entretien individuel et la notification des droits dans une langue que les personnes peuvent comprendre. Toutes ces recommandations que liste la CNCDH sont pourtant déjà consacrées légalement et devraient donc déjà être appliquées scrupuleusement afin de ne pas vider de sa substance le système d’accueil français et de ne pas rendre l’action de l’Etat illégale.
La CNCDH conclue en déplorant « l’inaction de l’Etat pour permettre un premier accueil digne des personnes migrantes venant de franchir la frontière, laissé à la seule générosité des citoyens, parfois même en opposition avec l’Etat ».
Malgré la mobilisation importante d’associations et de citoyens dans la région et les alertes lancées par des institutions la situation des personnes migrantes à la frontière franco-italienne reste très préoccupante à laquelle s’ajoute aujourd’hui les complications liées à la pandémie de Covid-19.
PERROT Juliette
Master 2 justice, procès, procédure
Parcours pratique du droit des étrangers
2020-2021
Bibliographie :
- Rapport de la CNCDH, 19 juin 2018 « Avis sur la situation des personnes migrantes à la frontière franco-italienne » https://www.cncdh.fr/sites/default/files/180619_avis_situation_des_migrants_a_la_frontiere_italienne.pdf
- Change ton monde, Cedric Herrou, Les liens qui libèrent
- « Les droits fondamentaux des migrants en situation irrégulière dans l’Union européenne », Agence des droits fondamentaux de l’Union Européenne
- « Violation du droit constitutionnel d’asile. Une femme et son fils sont toujours en errance en Italie suite à leur renvoi illégal par la France », 18 mai 2020, Ligue des droits de l’Homme. https://www.ldh-france.org/une-femme-et-son-enfant-renvoyes-hier-en-italie-les-refoulements-illegaux-des-personnes-en-demande-dasile-continuent-en-france/
- « La France viole le droit d’asile à la frontière franco-italienne confirme le Conseil d’État », 9 juillet 2020, Association nationale d’assistance aux frontières pour les étrangers. http://anafe.org/spip.php?article572
- « TEMOIGNAGES - Une association dénonce des violences envers les migrants au poste-frontière de Menton », Loïc Blache, Aline Métais, France Info. https://france3-regions.francetvinfo.fr/provence-alpes-cote-d-azur/alpes-maritimes/menton/temoignages-association-denonce-violences-migrants-au-poste-frontiere-menton-1910608.html?fbclid=IwAR0aljk4dmqE9tpSrqCOxZVXp4UujTeoXCFUR1wAdsYkHE6pRHwyFFjqqtY
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