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Les victimes de violences genrées, un embarras pour le droit d’asile en France

  • masterjpppdroitdes
  • 9 avr. 2021
  • 7 min de lecture



Illustration : Julien Mougnon

“Ce n’est pas de la nature humaine dont il s’agit, mais de la possibilité fondamentale laissée aux hommes de jouir du corps de la femme qui a été mis en leur pouvoir, et dont certains estiment avoir le droit de le faire sans limites ni contrôles car les faits en cause relèvent de la sphère intime ».

Françoise Héritier


En Europe, le terme migrant est souvent pensé au masculin[1]. S’il est vrai que l’écrasante majorité des migrants sont des hommes, de nos jours le tiers des demandes d’asile est constitué par des femmes victimes de violences et notamment de violences genrées[2]. Qu’est-ce que la violence genrée ? On peut définir la notion comme «tout acte dirigé contre un individu du fait de son sexe »[3]. Le terme sera ici utilisé pour désigner les violences commises à l’égard des femmes, parce qu’elles sont femmes. Elles seront les principaux sujets de cet article car bien plus souvent victimes de violences genrées que les hommes. Ces violences ont majoritairement lieu dans l’espace privé, en temps de paix mais aussi dans un contexte de violence généralisée dans leur pays d’origine comme sur les routes migratoires. Elles revêtent le caractère de mutilation génitale, mariage forcé, crime d’honneur, violences conjugales, viol… Si certaines de ces violences peuvent entrer dans le champ du droit d’asile, d’autres qui peuvent être tout aussi brutales sont frappées d’illégitimité. Par ailleurs quand bien même ces violences entreraient dans le cadre de l’asile, les femmes se heurtent à des difficultés particulières : celle de fournir des preuves, de raconter un récit traumatisant… Beaucoup d’acteurs de l’asile font aujourd’hui le même constat: le droit d’asile échoue à protéger correctement les demandeuses d’asile victimes de violences genrées ; dans leur pays d’origine mais aussi tout au long de leur parcours migratoire et en France. Mais est-ce céder à la fatalité que d’affirmer qu’il serait difficile de mieux encore les protéger ?


I. Le droit d’asile pris en otage par la formulation datée de la Convention de Genève

Smaïn Laacher pose la question suivante dans son ouvrage Croire à l’incroyable : “comment faire coïncider la demande d’asile d’une femme violentée avec les critères de la Convention de Genève” ?[4] L’article 1A(2) de la Convention de Genève de 1951 indique que peut prétendre au statut de réfugié toute personne « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques… ». Les critères de la Convention menant au statut de réfugié ont maintes fois fait débat et peut être plus encore pour les femmes victimes de violences genrées. Beaucoup ont relevé le principal problème : les violences mènent au statut de réfugié seulement si la personne sollicite une protection liée au lieu où les violences ont été commises. Ce lieu se doit d’être le pays d’origine de la personne persécutée. Or bien des femmes subissent des violences genrées sur la route de l’exil. Au vu de la formulation de la Convention de Genève ainsi que son interprétation, le droit d’asile ne protège pas efficacement celles-ci.

Un autre problème en lien avec le dernier soulevé est qu’il n’est pas à ce jour admis que certaines violences genrées soient assimilables à de véritables persécutions. Il est en effet indispensable pour l’officier de protection de l’OFPRA (Office Français de Protection des Réfugiés et des Apatrides) comme pour le juge d’opérer cette distinction pour accéder à la demande d’asile d’une personne[5]. Il est également important de noter qu’il n’est en aucun cas fait mention de genre dans la Convention et encore moins de violences genrées. Les violences faites aux femmes n’entrent pas explicitement dans un des motifs de la Convention de Genève ouvrant droit à une protection internationale. Comme le souligne Madame Mestre dans son article Demande d’asile des femmes étrangères : la femme est-elle l’égale des hommes ?, si la convention relative aux réfugiés est datée, elle est aussi androcentrée. Il n’est pas tenu compte de la condition des femmes et la question de l’identité sexuée n’est pas explicitée[6]. Il n’est pas certain que reconnaître explicitement au sein de la Convention que les femmes subissent des persécutions particulières sur le chemin de l’exil apporte des résultats satisfaisants en la matière ; en effet, ces persécutions seront toujours limitées géographiquement par nécessité. Pour autant, il est important que les Etats reconnaissent la spécificité des violences genrées dans leur droit national afin que les acteurs de l’asile puissent mieux prendre en compte les spécificités de ces persécutions et aider les femmes. C’est d’ailleurs ce qui a été recommandé par le législateur français qui dans l’article L711-2 du CESEDA (Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile) indique que « S'agissant des motifs de persécution, les aspects liés au sexe, à l'identité de genre et à l'orientation sexuelle sont dûment pris en considération aux fins de la reconnaissance de l'appartenance à un certain groupe social ou de l'identification d'une caractéristique d'un tel groupe ».

Si l’on s’en tient à la Convention de Genève et son interprétation plutôt stricte, il semble difficile de protéger correctement les femmes victimes de violences genrées. Mais qu’en est-il dans la pratique ?


II. Un droit d’asile peu adapté dans la pratique à protéger les demandeurs victimes de violences genrées

Bien souvent lorsqu’une femme se présente devant l’OFPRA ou la CNDA (Cour Nationale du Droit d’Asile) en alléguant de violences genrées, le récit est pour le droit frappé d’illégitimité car ne pouvant être prouvé. L’agent de l’OFPRA ou bien le juge à la CNDA demandera toujours des preuves de la domination d’un homme sur une femme mais il lui est presque toujours impossible de fournir ces preuves. Parfois un certificat médical permettra de mettre en évidence la souffrance psychologique d’une femme en lien avec les violences subies mais souvent cela ne suffit pas. S’il est difficile de prouver une violence physique assimilable à de la persécution, il est encore plus difficile de prouver les violences morales. Malgré toute la complexité des violences genrées, le droit d’asile ne peut s’affranchir de l’apport de preuves pour mieux protéger les femmes. Le constat est amer mais nécessaire.

En revanche, il est un domaine où il existe une marge de progression certaine, notamment en France. De nombreuses associations ont constaté une revictimisation des femmes pendant la procédure d’asile : celles-ci ayant souffert de violences ne reçoivent pas de réponses adaptées des services censés les protéger[7]. La parole des victimes est remise en cause alors qu’il est déjà difficile pour elles de raconter les événements traumatiques auxquels elles ont été confrontées. Il a été souligné à maintes reprises que les acteurs en lien avec la demande d’asile, notamment les officiers de protection de l’OFPRA ainsi que les juges de la CNDA ne sont pas bien formés à l’accueil de victimes de violences genrées[8]. Ils reproduisent à ce titre, consciemment ou inconsciemment, des stéréotypes de genre ou de race qui nuisent gravement aux personnes concernées lors de leur demande d’asile[9]. Il est également noté du fait de ce manque de formation une incompréhension culturelle stéréotypée entre demandeurs et officiers de protection ou juge[10]s. Un mariage forcé peut par exemple être considéré comme une affaire privée et ainsi ne pas être qualifié de violence genrée. La Commission du droit des femmes et de l’égalité des genres au Parlement européen a insisté à de nombreuses reprises en 2015 dans son Rapport sur la situation des réfugiées et des demandeuses d’asile dans l’Union Européenne pour que les acteurs et actrices en lien avec la demande d’asile soient mieux formés sur les questions en lien avec les violences genrées et leurs conséquences psychologiques et traumatiques[11]. Les acteurs doivent pouvoir accorder de la crédibilité aux récits des femmes, comprendre les difficultés qu’elles ont à parler ainsi que le peu de preuves qu’elles peuvent apporter en soutien à leurs allégations. Il existe donc une marge d’amélioration certaine dans ce domaine pour mieux protéger les demandeuses d’asile victimes de violences genrées.



Chacun l’affirme, il est aujourd’hui bien difficile pour les femmes victimes de violences genrées de se voir reconnaître le statut de réfugié. Le texte de la Convention de Genève est daté et ne laisse presque aucune marge de manœuvre pour mieux protéger les femmes. Dans la pratique internationale et en France, les acteurs de l’asile ne sont pas assez formés pour répondre correctement aux besoins et attentes des femmes victimes de violences genrées. Un premier pas a été fait lorsque le Parlement Européen a adopté le 7 avril 2011 une résolution nommée « Convention d’Istanbul » demandant aux Etats de reconnaître les femmes comme victimes de persécution en raison de leur sexe comme un groupe social particulier. Pour la première fois dans une décision du 30 mars 2017 la CNDA reconnu l’existence d’un groupe social de femmes d’Edo victimes d’un réseau de prostitution au Nigeria. Cependant le 16 octobre 2019, le Conseil d’Etat a resserré la jurisprudence de la CNDA : l’asile ne peut être désormais accordé que si les femmes prouvent leur sortie complète du réseau, excluant donc du groupe social les femmes ayant seulement entamées des démarches pour s’en extraire… Nous ne pouvons que constater qu’il reste un long chemin à parcourir pour que le droit d’asile protège efficacement les femmes victimes de violences genrées.


Anouk BEAUDEAU

M2 Justice, procès et procédures Pratique du droit des étrangers

Faculté de droit de Toulon

2020/2021








Bibliographie :

Adam-Vezina, Emilie. “Parcours migratoires de femmes d’Afrique subsaharienne : les épreuves de la violence. Revue Européenne des Migrations Internationales 36, no 1 (2020): 75-94.

Guillemaut, Françoise. “Victimes de traffic ou actrices d’un processus migratoire.” Terrains et travaux 10, no 1 (2006): 157-176.

Laacher, Smaïn. Croire à l’incroyable, Un sociologue à la Cour nationale du droit d’asile. Gallimard, 2018.

Mestre, Calire. “Demande d’asile des femmes étrangères : la femme est-elle l’égal des hommes ?” L’Autre 20, no 1 (2019): 41-50.

Quintard, Michaël. « Smaïn Laacher, De la violence à la persécution, femmes sur la route de l’exil. » e-Migrinter 8, (2012) : 141-143.

Rapport France Terre d’Asile, “Les violences à l’égard des femmes et des demandeuses d’asile.” Les cahiers du social 40, (2018).


Image :

https://www.franceinter.fr/ce-qui-me-gene-c-est-le-traitement-differencie-selon-les-nationalites-des-officiers-de-l-ofpra-temoignent


[1] Guillemaut, Françoise. “Victimes de traffic ou actrices d’un processus migratoire.” Terrains et travaux 10, no 1 (2006): 157-176. [2] Mestre, Calire. “Demande d’asile des femmes étrangères : la femme est-elle l’égal des hommes ?” L’Autre 20, no 1 (2019): 41-50. [3] https://penserlahaine.hypotheses.org/quest-ce-que-les-violences-de-genre [4] Mestre, Calire. “Demande d’asile des femmes étrangères : la femme est-elle l’égal des hommes ?” L’Autre 20, no 1 (2019): 41-50. [5] Smaïn Laacher. “Les femmes, des persécutées à part?” in Croire à l’incroyable, Un sociologue à la Cour nationale du droit d’asile. (Gallimard, 2018). [6] Mestre, Calire. “Demande d’asile des femmes étrangères : la femme est-elle l’égal des hommes ?” L’Autre 20, no 1 (2019): 41-50. [7] Rapport France Terre d’Asile, “Les violences à l’égard des femmes et des demandeuses d’asile.” Les cahiers du social 40, (2018). [8] Ibid. [9] Mestre, Calire. “Demande d’asile des femmes étrangères : la femme est-elle l’égal des hommes ?” L’Autre 20, no 1 (2019): 41-50. [10] Ibid. [11]Rapport France Terre d’Asile, “Les violences à l’égard des femmes et des demandeuses d’asile.” Les cahiers du social 40, (2018).

 
 
 

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